Lettre ouverte au premier ministre François Legault sur la loi 96

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Montréal, le 6 décembre 2021

L’Honorable François Legault
Premier ministre du Québec

Monsieur le Premier ministre Legault,

Le Centre communautaire des femmes sud-asiatiques est un organisme de services, de soutien et de défense des droits qui sert toutes les femmes de Montréal et leur famille, particulièrement la communauté sud- asiatique. Fondé il y a quarante ans sous l’inauguration du ministre Gérald Godin, son mandat a toujours consisté à servir les femmes et leur famille provenant de nombreux pays et ayant diverses langues maternelles. Nos travailleuses communautaires procurent nos services dans les différentes langues d’origine, mais le français et l’anglais ont toujours été utilisés dès notre établissement. Si le projet de loi 96 est adopté, il aura sur notre clientèle un impact dévastateur. En effet, une telle loi nous interdirait de servir les femmes entoute autre langue que le français.

Le projet de loi 96 veut que les employés du secteur public ne communiquent qu’en français dans la prestation de services. Il prévoit une exemption de six mois pour ceux ayant fréquenté l’école primaire en anglais au Canada, les Premières Nations et les immigrants s’étant installés au pays. Cette exemption, inefficace selon nous, s’appuie sur la supposition qu’en six mois, ces personnes auront acquis suffisamment de compétences pour maîtriser le français.

La communauté que nous servons est composée de femmes adultes, majoritairement d’origine sud-asiatique, et de leur famille. Nombre d’entre elles sont immigrantes et réfugiées. Toutes sont dans le processus de s’installer dans un nouvel environnement, sans les systèmes de soutien qu’elles ont laissés derrière, par choix ou parce qu’elles étaient menacées. Elles arrivent avec des enfants qui doivent fréquenter l’école. Les adultes doivent se trouver un travail afin de survivre. Leur exiger d’apprendre une nouvelle langue en six mois est impossible lorsque leur préoccupation première est de nourrir et de loger leur famille.

De plus, celles qui sont réfugiées ont fui des régimes opprimants et des conditions économiques insoutenables; elles sont des survivantes et souffrent de traumatismes à long terme. Il est simplement cruel et insensible de leur imposer d’acquérir une nouvelle langue en leur niant de recevoir des services essentiels dans une autre langue que le français.

Les travailleuses sociales multilingues de notre Centre ont éventuellement appris le français. Nos communications avec les agences gouvernementales et les rencontres auxquelles nous participons sont toutes faites en français, et seulement en français. Plusieurs membres de notre personnel suivent encore des cours de français, non pas pour l’apprendre, mais pour le perfectionner. Nous sommes extrêmement conscientes que nous vivons dans une province où le français est la langue première. Il est dans notre avantage de l’utiliser et de le maîtriser au meilleur de notre compétence.

Le gouvernement reconnaît que le Québec a pris l’engagement et la responsabilité de promouvoir l’utilisation du français et de faire en sorte qu’il soit la langue commune dans la province. Or, il est discriminatoire et inhumain d’imposer une loi mal conçue en ce qu’elle ignore les conséquences qu’elle aurait sur une population vulnérable en plein processus d’établissement. Nous soutenons certainement l’intégration des familles sud-asiatiques dans la société québécoise, pourtant, nous remettons en cause de telles exigences sévères d’inclusion et y voyons un manque de reconnaissance d’interculturalisme.

Le système est doté d’un nombre de mesures de protection de la langue française. Tous les enfants de parents allophones doivent fréquenter l’école en français, ce qui fait en sorte que les enfants de parents immigrants ou réfugiés maîtrisent le français. Cette mesure est efficace, car ces enfants représentent l’avenir du Québec, et une éducation en français leur assure automatiquement la capacité de fonctionner aisément en français.

Les gens qui doivent accéder à des services sociaux, pédagogiques, juridiques et de santé recherchent des services essentiels, souvent dans des conditions de stress prononcé ou après des traumatismes. Le projet de loi 96 ne leur permet même pas d’avoir accès à des interprètes.

Après avoir évalué les conséquences dévastatrices qu’aurait la loi 96 sur les populations vulnérables, nous recommandons les modifications suivantes au projet de loi pour assurer une loi juste et humaine qui répond aux besoins et reflète les réalités vécues des personnes qu’elle vise. De manière plus importante, la loi doit
respecter les droits de tous les citoyens du Québec, tel qu’établi par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, notamment en matière de discrimination fondée sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, l’âge et les conditions sociales. En conclusion, nous ne recommandons que le projet de loi 96:
– Retire la limite d’exemption de six mois
– Retire le critère de période à l’intérieur de laquelle la personne doit apprendre le français, et ce, dans le respect des réalités auxquelles se heurtent les immigrantes et les réfugiées.

Nous vous prions d’agréer, monsieur le Premier ministre du Québec, l’expression de notre très haute considération.
Vrinda Narain
Présidente du Conseil Exécutif
Le Centre Communautaire des Femmes Sud Asiatiques
Montreal, Québec